Bagdad, 15 juin 2025 – Alors que les tensions au Moyen-Orient atteignent un nouveau sommet avec l’escalade militaire entre Israël et l’Iran, une voix inattendue s’élève au sein du monde arabe pour réclamer la retenue : celle du gouvernement irakien.
Selon le quotidien arabophone Asharq Al-Awsat, publié à Londres, le Premier ministre irakien Muhammad Shia al-Sudani a transmis un message ferme aux milices chiites pro-iraniennes opérant en Irak : « Ne vous mêlez pas de la guerre entre l’Iran et Israël. » Un avertissement sans ambiguïté qui témoigne d’un désir grandissant à Bagdad de préserver la souveraineté irakienne et de ne pas se retrouver entraîné malgré lui dans un conflit régional destructeur.
Une déclaration rare et stratégique
Le message, rapporté par des sources proches du gouvernement irakien, aurait été délivré à l’issue de consultations intensives entre al-Sudani et les dirigeants de milices chiites et de partis politiques liés à Téhéran. Le Premier ministre aurait souligné l’importance de « maintenir l’unité nationale » et de ne pas compromettre la stabilité durement acquise du pays après des décennies de guerre, de terrorisme et d’occupation étrangère.
Cette posture marque un tournant pour l’Irak, dont le territoire a longtemps servi de zone d’influence majeure pour l’Iran, notamment à travers le déploiement de groupes armés comme Kata’ib Hezbollah, Asaïb Ahl al-Haq et le Harakat al-Nujaba.
En désavouant toute implication militaire indirecte dans la confrontation actuelle, Bagdad envoie également un message aux acteurs internationaux, et notamment aux États-Unis et à Israël : l’Irak ne souhaite plus être un pion dans le jeu d’échecs iranien.
Un contexte de tension extrême
Ce positionnement survient alors que l’État hébreu mène des frappes ciblées de grande envergure contre des infrastructures militaires iraniennes, en représailles aux attaques de missiles qui ont frappé Tel Aviv, Bat Yam et d’autres villes israéliennes.
Dans ce cadre, les milices chiites, souvent qualifiées de « bras armé de l’Iran », auraient pu constituer un vecteur supplémentaire d’attaque contre Israël ou ses alliés dans la région. En 2021 déjà, ces groupes avaient revendiqué des attaques contre des installations américaines en Irak, provoquant une série de représailles et de tensions diplomatiques.
Le risque d’embrasement régional est donc réel. Et c’est précisément pour l’éviter que le gouvernement irakien adopte une position de neutralité active. Le message implicite : « Laissez-nous en dehors de votre guerre. »
Un calcul politique interne
Cette prise de position n’est pas seulement dictée par des considérations géopolitiques. Elle répond aussi à des impératifs internes cruciaux. Après des années de guerre civile, d’instabilité politique et de paralysie institutionnelle, l’Irak tente de reconstruire ses infrastructures, de rétablir la confiance dans les institutions et de relancer son économie.
La population irakienne, dans sa grande majorité, est épuisée par les conflits interminables. La jeunesse, en particulier, aspire à une vie digne, à l’emploi, à l’éducation et à la paix – pas à une nouvelle guerre dictée par des agendas étrangers.
En prenant ses distances avec l’Iran, même symboliquement, al-Sudani cherche donc à renforcer sa légitimité auprès du peuple, tout en évitant de s’aliéner ses partenaires occidentaux, encore très présents sur le sol irakien.
Israël observe avec prudence
Du côté israélien, cette déclaration est accueillie avec un mélange de soulagement et de prudence. Si elle permet, à court terme, de réduire la pression sur les troupes et installations israéliennes dans le nord et à proximité de la Jordanie, elle ne garantit pas pour autant une absence totale de menace.
Les milices pro-iraniennes n’ont pas toujours agi selon les ordres directs de Bagdad, et il reste à voir dans quelle mesure elles se conformeront à la ligne gouvernementale. Toutefois, cette sortie publique affaiblit symboliquement la posture hégémonique de l’Iran, en montrant que tous ses alliés ne sont pas disposés à suivre aveuglément ses choix belliqueux.
Une fracture au sein du croissant chiite ?
Cette évolution s’inscrit dans une tendance plus large : celle de la désolidarisation progressive de certains États chiites vis-à-vis de la République islamique d’Iran. En Syrie, en Irak et même au Liban, des voix s’élèvent pour dénoncer l’ingérence de Téhéran et son coût humain, politique et économique.
Dans ce contexte, la prise de parole de Bagdad peut être interprétée comme un signe avant-coureur d’une fragmentation du fameux « croissant chiite », ce réseau d’influence étendu que l’Iran ambitionnait de bâtir de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas et Bagdad.
Une opportunité diplomatique pour Israël
Israël, bien que plongé dans une guerre d’ampleur, devrait saisir cette ouverture pour initier un dialogue discret avec Bagdad. En tissant des liens, même indirects, avec des acteurs qui refusent de se laisser manipuler par l’Iran, l’État hébreu peut à la fois affaiblir son ennemi régional et renforcer sa propre sécurité stratégique.
Une Irak indépendante, souveraine et tournée vers la reconstruction pourrait devenir un acteur de stabilisation dans un Moyen-Orient où les rapports de force évoluent rapidement.
Conclusion :
Le message du Premier ministre irakien, aussi discret soit-il, sonne comme un désaveu cinglant pour l’Iran. Il démontre que, même parmi ses alliés traditionnels, l’heure est à la retenue et à la préservation des intérêts nationaux. Dans un monde en mutation, où les alliances ne sont plus figées, la realpolitik l’emporte de plus en plus sur les slogans idéologiques. Et cela, Israël le comprend mieux que quiconque.
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