L’une des photographies les plus emblématiques et terrifiantes de la Shoah vient de livrer un nouveau secret. Le cliché connu sous le nom du « dernier Juif de Vinnitsa » — montrant un homme agenouillé au bord d’une fosse commune, sur le point d’être abattu d’une balle dans la nuque par un officier nazi — a désormais un nom associé à son bourreau. Selon une recherche historique publiée en Allemagne, l’homme armé n’était autre que Jakobus Ohnen, instituteur allemand devenu officier SS, responsable de massacres massifs en Ukraine en 1941.
Ce cliché, longtemps utilisé comme symbole des massacres par balles perpétrés en Europe de l’Est, avait été présenté pour la première fois au procès Eichmann à Jérusalem en 1961. Mais jusqu’ici, ni le lieu exact, ni la date, ni l’identité du tueur n’étaient connus. Le travail de l’historien Jürgen Matthäus, ancien directeur de recherche au musée de l’Holocauste de Washington, vient combler ce vide.
Une exécution à Berdytchiv, 28 juillet 1941
L’étude établit que la photo fut prise dans la citadelle de Berdytchiv, en Ukraine, le 28 juillet 1941, trois semaines après la conquête de la ville par la Wehrmacht. Ce jour-là, environ 180 Juifs furent exécutés et jetés dans des fosses creusées à la hâte par leurs coreligionnaires. La scène immortalise l’instant où un officier SS, lunettes et casquette sur la tête, arme à la main, se tient derrière une victime agenouillée, déjà résignée. Tout autour, une vingtaine de soldats allemands assistent à la scène sans le moindre signe d’émotion.
L’auteur du meurtre, identifié grâce à l’analyse d’archives photographiques et au croisement de journaux militaires, était Jakobus Ohnen, né en 1906 près de la frontière hollandaise. Professeur d’anglais, de français et d’éducation physique, il avait rejoint les SA avant d’intégrer les SS au début des années 1930. En 1941, il commandait une unité mobile de 700 hommes chargés de « nettoyer » l’arrière-front allemand. Sa troupe s’est distinguée par son efficacité meurtrière : plus de 100 000 civils — principalement des Juifs — furent assassinés jusqu’à l’automne 1942.
Une image devenue symbole universel
L’histoire de cette photographie est aussi singulière que macabre. Elle fut découverte à Munich en 1945 par un soldat américain, transmise à un rescapé polonais, puis introduite comme pièce à conviction à Jérusalem en 1961. Reproduite dans des centaines d’ouvrages et d’expositions, elle a longtemps circulé sous le titre erroné de « dernier Juif de Vinnitsa », la ville voisine de Berdytchiv.
L’enquête récente repose sur un négatif retrouvé dans le journal personnel d’un officier autrichien de la Wehrmacht, Walter Materna, qui décrivait froidement les exécutions de ce 28 juillet. Des recoupements iconographiques et des analyses par intelligence artificielle ont confirmé à 99 % qu’il s’agissait bien de Jakobus Ohnen. L’identité de la victime, elle, reste inconnue.
Le poids de l’histoire et la mémoire
Cette avancée rappelle combien l’histoire de la Shoah reste encore en partie à écrire, même sur des documents pourtant célèbres. En donnant un nom au meurtrier, les chercheurs renforcent le caractère concret d’un crime trop souvent réduit à l’anonymat bureaucratique des bourreaux. La photographie ne représente plus seulement un archétype de la barbarie nazie : elle pointe un individu, un visage, un professeur devenu assassin de masse.
À Berdytchiv, haut lieu du judaïsme hassidique avant-guerre, il ne restait que 15 Juifs vivants lorsque l’Armée rouge libéra la ville en 1944. Ils étaient plus de 20 000 trois ans plus tôt. Le cliché, désormais mieux documenté, continue d’incarner cette destruction totale.
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