Un trésor historique d’une portée exceptionnelle vient d’être mis au jour au cœur de Varsovie. Dans les sous-sols du tribunal régional, un ensemble de peintures murales datant de la Shoah a refait surface, resté dissimulé pendant près de huit décennies sous des couches de plâtre. Ces fresques ont été découvertes lors de vastes travaux de rénovation dans un secteur qui servait jusqu’ici d’archives judiciaires, inaccessible au public depuis des décennies.
Le lieu n’est pas anodin. Le bâtiment — situé aujourd’hui rue Solidarności, anciennement Leszno — se trouvait pendant la Seconde Guerre mondiale à la frontière entre le petit et le grand ghetto de Varsovie, dans une zone qualifiée par l’occupant nazi de « partie aryenne ». Un passage secret reliait ces sous-sols au ghetto : par ce couloir clandestin furent exfiltrés des enfants juifs, mais aussi de la nourriture, des médicaments et même des armes. Ce même passage aurait contribué à sauver des vies, dans un silence qui a traversé les générations.
Les peintures sont apparues au moment où l’archive a été temporairement évacuée pour permettre la rénovation complète de l’étage. Un processus de conservation spécifique est en cours afin de documenter et stabiliser les œuvres avant le retour des archives à leur emplacement définitif — ce qui signifie que l’accès public aux fresques ne sera plus possible une fois les travaux achevés.
L’origine exacte des peintures demeure incertaine. Le conservateur des monuments de Varsovie, dépêché sur place, estime qu’elles ont été réalisées à différentes périodes durant la guerre. Certaines scènes présentent des motifs d’inspiration allemande, laissant envisager que l’espace ait servi, à un moment, de salle de repos pour des officiers allemands après la découverte du passage secret. D’autres éléments, au contraire, relèvent d’un style naïf et enfantin, suggérant des dessins réalisés par des enfants.
Cette hypothèse est renforcée par un autre fait historique : le bâtiment a également servi, durant une période de la guerre, d’hôpital accueillant des enfants juifs. Plusieurs fresques pourraient avoir été peintes pour apaiser et réconforter ces jeunes patients, plongés dans l’horreur du ghetto. Une autre théorie évoque une décoration initiale prévue pour un café lors de la construction du bâtiment, mais aucun élément probant ne vient, à ce stade, l’étayer.
L’un des rares témoins contemporains à avoir pu pénétrer dans ces sous-sols est Meir Bulka, chercheur spécialiste de la Pologne et président de l’organisation J-nerations, dédiée à la préservation de la mémoire juive en Europe. Il a reçu une autorisation exceptionnelle et unique pour documenter les fresques avant la fermeture définitive du site.
« L’entrée dans ces sous-sols est bouleversante », confie-t-il. « Marcher dans ces espaces obscurs où des enfants ont été sauvés, où leur destin est passé de l’ombre à la lumière — un motif qui traverse l’histoire juive — est une expérience impossible à décrire. Je suis profondément ému d’avoir pu voir et documenter ces traces, même si le public ne pourra jamais les contempler. »
Selon Bulka, l’analyse stylistique permet d’avancer une lecture en trois phases : une première, lorsque l’espace servait d’hôpital pour enfants juifs ; une seconde, lorsqu’il aurait été transformé en club d’officiers ; et une troisième, liée au projet — resté inachevé — d’y aménager un café. « Dans certaines fresques, on distingue des ambulances transportant des malades d’un côté à l’autre de la ville. Ailleurs, l’on perçoit une esthétique décorative ou même une forme de bande dessinée », explique-t-il.
L’identité des auteurs demeure inconnue. Certains dessins pourraient avoir été réalisés par des prisonniers juifs sur ordre des Allemands ; d’autres semblent manifestement l’œuvre d’enfants. Cette pluralité de mains et d’intentions confère à l’ensemble une force mémorielle rare, à la fois témoignage brut de survie et fragment intime d’une humanité résistante au cœur de la barbarie.
Dans une Varsovie presque entièrement détruite pendant la guerre, ce bâtiment figure parmi les rares édifices à avoir survécu intact. Les fresques révélées aujourd’hui constituent un document historique irremplaçable, rappelant que, même dans les lieux les plus secrets, la vie, l’art et l’espoir ont continué à s’exprimer — souvent pour sauver des enfants.








