ABUSEE, VIOLENTEE SEXUELLEMENT – Par Rony Akrich

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J’ai rencontré Liora, une jeune femme israélienne.
Son histoire, commune à ces nombreux petits êtres tombés entre les mains sales de proches avides d’abus et de violences sexuels, m’a bouleversé.
J’ai souvent entendu des rescapés de la Shoa dire qu’ils n’étaient pas des survivants, mais bien des rescapés! Un survivant aurait réussi à s’échapper avant la guerre. Elle aussi, voyez-vous, elle a traversé l’enfer, elle y a survécu.
Peu à peu, grâce aux suivis médical et psychologique, soutenue, elle parvenait à maitriser, tant bien que mal, les flammes qui la consumaient.
Aujourd’hui, après des années de thérapie sur mesure, une collaboration audacieuse entre l’évaluation spécialisée et l’analyse introspective, elle commence à ressentir l’amour autour d’elle, elle s’habitue à sa présence au sein de son passé.
La voici, elle se raconte:

Il y a peu de temps, j’ai amorcé un travail dans le domaine de la santé mentale, une matière peu engageante, et même repoussante, pour la patiente que j’étais. Je m’occupe d’un programme financé par les assurances nationales et le Ministère de la santé voué à la formation d’ex-victimes sexuelles, anciennement hospitalisées en psychiatrie et réunies volontairement à cet effet.

Le but est de pouvoir soutenir les patientes et leurs familles dans le cadre des services fournis par l’hôpital. Nous usons de nos connaissances et de nos expériences personnelles pour affronter les drames, les crimes commis sur des êtres innocents. Nos propres entendements, appréhensions, nos blessures morales et physiques… tout est d’une aide précieuse.

Dans nos conversations avec le personnel multidisciplinaire, avec lequel nous travaillons, dans nos échanges avec chacun de nos patients, nous prouvons, corps et âme, que l’espoir d’un devenir est possible.

C’est l’ignorance qui m’a entraînée sur le terrain de la reconquête de soi, aussi ai-je pensé te dire certaines choses concernant l’insuffisance de beaucoup:
Bien que confrontée aux différents services thérapeutiques du corps et de l’esprit, malgré le sincère vouloir des soignants de nous raccommoder, de nous réinsérer dans un processus de guérison, je me sentais isolée, seule, abandonnée.

J’avais le net sentiment que beaucoup d’entre eux étaient plus que compétents et obligeants, je savais qu’ils souhaitaient faire au mieux en essayant de m’aider. Néanmoins, je restais persuadée qu’ils ne pourraient jamais m’approcher vraiment, jamais ils ne pourraient atteindre ma tragique réalité.

L’ignorance enserrait tous les lieux où j’arrivais et, très vite, une même phrase résonnait dans ma tête: « Il n’y a pas un endroit dans le monde qui puisse comprendre et savoir comment m’aider. »
C’est un énoncé entendu maintes et maintes fois, un exprimé réitéré encore et encore par des filles, des femmes rescapées de l’horreur des abus sexuels.
Entends ce que je te dis: le diagnostic du trouble de dissociation que j’avais déjà émis, me concernant, leur était inconnu.

Je me voyais contrainte, dans mon état, d’instruire et de traduire ma situation aux spécialistes que je rencontrais. Je devais leur expliquer ce fossé inaccessible entre mes compétences intellectuelles et fonctionnelles et ce néant affectif, sensible détaché d’une vie qui fut la mienne.

Je me souviens notamment du moment de mon hospitalisation où j’ai commencé à déclarer qu’on ne me laissait jamais finir mes phrases, aller au bout de ma pensée. Je décidais donc de couper les ponts, Je me rendais compte qu’une majeure partie de mon activité pendant la journée devait m’aider à faire face aux sentiments intolérables qui dévoraient l’essentiel de mon quotidien.
La vie elle-même était un traumatisme pour la jeune fille que j’étais mais elle en deviendra aussi l’élément déclenchant à l’âge adulte.
Je sentais que je tournais en rond avec moi-même, brisée, détruite. Comment pourrais-je être réelle ici et maintenant? Mon vrai ‘moi’ hurlait de tristesse et de colère, autour de moi le commun des mortels ne pouvait pas saisir la totalité de cette douleur effroyable qui me rongeait.

En mon fort intérieur, tout était conflictuel.
Je me souvenais très lucidement avoir été une petite fille heureuse, satisfaite, bonne élève, je ne me sentais nullement souffrante, détraquée ou anormale.
Par contre, j’étais parcourue de sentiments confus: un plaisir mêlé à une souffrance, parfois remplacée par une autre souffrance qui devient à son tour un plaisir et un mélange de sentiments: culpabilité, haine, honte face à l’existence même.
Je suis devenue femme, mais une femme qui ne peut aborder, ni effleurer ses sentiments intimes. Quand je les aborde au cours d’un instant, la douleur se fait vive et me brûle, elle menace de me détruire et me fait fuir de nouveau.

Le système médical s’exprime à travers le langage des « maladies » et des « symptômes », lui, n’a guère pu nous aider. J’ai rencontré nombre de bonnes personnes là-bas, mais la dimension relationnelle est restée en général dans l’opacité, les praticiens s’employaient à interpréter mon attitude et l’ajuster à des livres qui commentaient mes diagnostics.
Il paraîtrait qu’ils aient parcouru toute la bibliographie sur le sujet, en dehors de mon propre livre qu’ils n’avaient jamais demandé à lire.

Je n’ai pas reçu cette chaleur humaine tant attendue.
Je voulais juste une présence auprès de moi lorsque je pleurais à chaudes larmes.
Je voulais qu’il me dise ô combien il était peiné pour moi d’avoir dû endurer autant de souffrance.
Je voulais qu’il me dise: tu n’es pas folle, tu es tout ce qu’il y a de plus normale dans ce monde de fou. Ton comportement, aussi étrange soit-il, ne nous empêchera pas de te soigner et de t’aider à guérir.
Apres avoir vécu une première agression abusive dans mon enfance, il devint inéluctable pour moi d’éviter tout rapprochement avec quiconque, aucune relation affective, tendre et surtout amoureuse n’était possible. Cela devenait insupportable, et de plus en plus difficile, de voir changer cette petite fille entourée d’amis en cette jeune fille solitaire qui continuait à jouer son rôle au dehors et à se putréfier au dedans.
Ma solitude au sein de mon désert désolé me consumait de l’intérieur, me dévorait l’antre.
Vraiment seule, laissant derrière moi une famille qui n’en était plus vraiment une, mon corps, que je ne pouvais pas protéger, même à l’âge adulte, s’est mis à parler, à crier, à hurler. Mes mots et mes témoignages créaient d’autres maladies et je ne savais plus si éviter les médecins serait sain ou destructeur pour moi.

Malgré tout, envers et contre toute logique, je décidais de poursuivre ma survie, d’en réchapper. J’allais tout faire pour me ressaisir de ce passé où je ne pesais guère plus qu’une plume et vivais d’une allocation.
J’ai finalement trouvé du travail, le suivi psychologique améliorait peu à peu mon état, j’ai même réussi à dormir quelques nuits, parvenant à penser à des d’études supérieures et, pourquoi pas, une future vie conjugale.
À ce moment précis, un employé des assurances nationales m’a dit qu’il ne serait pas moral de me laisser étudier l’assistance sociale au vu et su de mon passé.
Puis, au cours d’un entretien, un examinateur professionnel, me dit: « Je n’ai pas compris, qui vous a fait du mal, à quel âge? »
Comme si il s’agissait de l’essentiel à déterminer pour travailler ou étudier à l’avenir.

Je comprenais alors que la lutte était loin d’être terminée.
Ils ont peur de nous, les rescapées, peur de toucher la douleur que nous portons.
Ils ont peur de se brûler au feu des souvenirs.
Je comprends cela.
Dans le cadre de mon travail, avec des professionnels, nous sommes amenés à discuter de l’existence d’un traumatisme dans le passé d’un des patients hospitalisés. J’entends, encore et encore, la profonde inquiétude des membres du personnel de traiter d’un tel sujet devant moi: « Mais elle est brisée, elle ne fera que se briser davantage ».
Ils ont tort!
L’absence de contexte et le manque de validité de l’existence des sévices subis, voilà ce qui a brisé mon être.

Tous, autour de moi, ne causèrent de ce que j’essayais de garder secret, tout le monde semblait m’encourager à le garder, à les protéger de toute révélation malencontreuse. L’introduction du préjudice dans son contexte, lorsque le récit dans ses détails n’est pas le plus important, signifie donner à la femme la possibilité de se libérer d’une culpabilité qui lui était reprochée au moment de sa première agression
J’entends beaucoup d’attente pour que la victime puisse venir au plus tôt en thérapie avec une histoire cohérente, expliquant exactement ce qui s’est passé, qui l’a blessée et quand. J’aurais aimé que cela ressemble à cela.
En réalité, les particules de souvenirs chaotiques qui flottent lentement dans l’océan de la dissociation et du désordre de réalités parallèles du passé constituent le tableau clinique que vous rencontrerez très souvent.
Ils sont les morceaux déchirés de cette fille, jolie fleur d’un autre jour.
Il était important pour moi de vous parler de l’ignorance. Juste parce que c’est devenu insupportable!

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