La restitution du corps de Dror Or a permis de fermer un cercle douloureux. Mais pour deux familles israéliennes, l’enfer continue : celles de Ran Gouili, 24 ans, et de Suthisak Rintalak, 43 ans, derniers otages tombés dont les dépouilles restent entre les mains du Hamas.
Lors d’un événement organisé par le forum de bénévoles “Tikva”, les parents de Ran ont livré un témoignage d’une sincérité brute : la peur de l’oubli, la terreur de devenir les derniers sur la liste, et la lutte quotidienne pour ne pas sombrer dans un silence que Gaza tente d’imposer.
Ran Gouili, 24 ans, membre du Yassam Néguev, originaire de Meitar, avait été enlevé lors du combat d’Aloumin le 7 octobre 2023. Blessé à l’épaule quelques jours avant le massacre — fracture nécessitant une intervention — il avait pourtant choisi de rejoindre le combat dès les premières minutes de l’attaque.
Les images de son dernier selfie en uniforme, publiées par Israel Hayom, sont devenues l’un des symboles de cette génération de jeunes combattants qui ont couru vers le feu, parfois en sachant que les renforts mettraient des heures à arriver.
Une commission d’experts a confirmé le 30 janvier que Ran n’était plus en vie. Mais ses parents, Talik et Itzik, continuent de poser des questions : incohérences dans les éléments transmis, zones d’ombre, témoignages fragmentaires. Comme d’autres familles confrontées à l’absence de corps, ils vivent dans un entre-deux insoutenable : reconnaître la mort, sans pouvoir la toucher.
« On se réveille un matin, et on vous vole votre enfant »
Devant les bénévoles du forum “Tikva”, Talik Gouili a pris la parole. Sa voix, captée dans une vidéo relayée par N12, mêlait force et effondrement intérieur.
« On se réveille le matin, et on vous vole votre enfant. Puis tous commencent à revenir, et soudain surgit la question : quand viendra notre tour ? C’est une sensation atroce. »
Elle poursuit :
« Nous avons peur de rester seuls. Peur d’être les derniers. Mais quand vous êtes là, vous nous donnez de la force. Vous nous montrez que Ran n’est pas seulement notre fils — il est aussi le vôtre. »
Dans la salle, beaucoup pleuraient. Les familles d’otages forment désormais un collectif soudé par un traumatisme commun : celui d’attendre un fils, une fille, un parent que le Hamas utilise comme monnaie de chantage, même lorsqu’il s’agit de dépouilles.
« Nous sommes devenus une énorme famille, celle des otages », ajoute Talik. « Il y a de la joie quand quelqu’un revient, mais aussi la peur que nous restions seuls. »
Un combattant revenu au front malgré sa blessure
Le matin du 7 octobre, alors que le massacre débutait, la famille Gouili s’est réfugiée dans l’abri. Ran s’est habillé en uniforme, son épaule encore immobilisée, et a quitté la maison.
D’après les éléments publiés par Israel Hayom et confirmés par l’armée, il a neutralisé plusieurs terroristes au cours des premières heures, avant d’être porté disparu dans la zone d’Aloumin.
La brutalité du Hamas a fait disparaître les corps, brouillant les preuves, empêchant l’identification, plongeant les familles dans un deuil suspendu.
C’est précisément ce que craignent les parents de Ran : que le temps fasse son œuvre, que les priorités politiques changent, que les survivants saturent l’espace public, et que les morts soient relégués à une ligne de bas de page.
Les familles des derniers otages : une attente glaçante
Avec le retour du corps de Dror Or, seuls deux otages tombés restent détenus à Gaza :
– Ran Gouili, 24 ans,
– Suthisak Rintalak, 43 ans, Thaïlandais travaillant en Israël.
Selon les mécanismes habituels du Hamas, les dépouilles sont conservées comme outils de négociation, souvent dans les tunnels ou dans des caches en zone civile.
La pression diplomatique, déjà faible, se heurte aux priorités militaires et aux équilibres internes du mouvement terroriste.
« Le plus terrible, explique Talik, c’est ce sentiment d’être au bord du vide. Chaque fois qu’un otage revient, nous sommes heureux — vraiment heureux. Mais nous regardons autour de nous et nous avons peur que notre tour ne vienne jamais. »
« Des contradictions dans les données » : l’ombre des zones grises
Les parents de Ran ne cachent pas leur malaise :
« Les informations reçues comportent des contradictions. Les conclusions ne correspondent pas toujours aux témoignages. »
Un sentiment partagé par d’autres familles confrontées au même drame.
Ces zones d’ombre alimentent une angoisse supplémentaire : l’idée d’un scénario mal expliqué, d’un récit incomplet, d’un dossier où chaque incohérence devient un espoir toxique.
Pression morale, pression politique
En toile de fond, une réalité lourde :
Le maintien en captivité de dépouilles israéliennes constitue une stratégie éprouvée du Hamas.
Chaque famille plongée dans l’attente devient un levier politique.
Et chaque hésitation du gouvernement devient un angle d’attaque pour l’opposition, qui accuse Netanyahu de ne pas avoir fait assez pour ramener « tous les fils et filles d’Israël ».
Les familles, elles, ne parlent pas politique. Elles parlent de vide, de nuits sans sommeil, de ces messages WhatsApp envoyés à des groupes de soutien à trois heures du matin.
Elles parlent surtout de peur.
Pas de la mort — mais de l’oubli.
De ce moment où l’opinion se lassera, où les caméras partiront, où les noms ne seront plus cités.
L’issue : ramener Ran, ramener Suthisak, ramener tous les autres
L’appel de Talik Gouili résonne comme un cri traversant le cœur d’un pays encore meurtri :
« Tout ce que nous voulons, c’est la fin. Que Ran revienne. Que tous reviennent. Qu’on puisse refermer ce chapitre et respirer à nouveau. »
La guerre continue. Les batailles diplomatiques se succèdent.
Mais la question des otages — vivants ou tombés — demeure la ligne rouge morale d’Israël.
Un pays qui a bâti sa doctrine sur la protection de ses citoyens ne peut pas laisser derrière lui ses morts.
Dans les couloirs du forum “Tikva”, un panneau affichait une phrase simple :
“Ramenez-les maintenant. Pas demain.”
C’est ce que répète, chaque matin, la mère de Ran Gouili.
Et c’est ce que répète, tout bas, une nation entière.







