L’intervention du spécialiste des affaires arabes Tsvi Yehezkeli sur i24NEWS a ravivé un débat sensible autour des signaux envoyés ces derniers jours par Washington et Riyad. L’annonce du président américain Donald Trump sur son intention de vendre des avions F-35 à l’Arabie saoudite a été accueillie avec une certaine inquiétude en Israël, mais Yehezkeli insiste : cette évolution, aussi perturbante soit-elle, ne constitue pas une menace stratégique immédiate. Selon lui, la clé du moment se trouve moins dans la technologie américaine que dans les intentions réelles de Mohammed ben Salman, dont la position régionale reste fragile malgré sa popularité en Occident.
Yehezkeli rappelle que le prince héritier saoudien est arrivé à la Maison-Blanche comme un dirigeant que l’administration précédente avait pratiquement mis au ban. « Il était considéré comme un paria et voilà qu’il est reçu avec les honneurs », souligne-t-il. Ce renversement symbolique traduit, selon lui, la volonté du président Trump de renouer une relation transactionnelle avec Riyad : faire des affaires, renforcer les alliances face à l’Iran et, au passage, replacer les États-Unis au centre du jeu diplomatique au Moyen-Orient. Yehezkeli note que la visite elle-même représente un tournant historique, preuve que Washington ne cache plus son intention de resserrer ses liens stratégiques avec l’Arabie saoudite.
Pour l’expert israélien, la question des F-35 doit toutefois être examinée sous un angle beaucoup plus froid. Oui, explique-t-il, la vente potentielle d’un appareil aussi sensible soulève nécessairement des préoccupations en Israël, mais il estime que le danger est limité : « Ce n’est pas critique, car ces avions ne seront pas livrés immédiatement. » Une manière de rappeler que les processus américains sont longs, encadrés, et que rien n’indique que Riyad pourrait, dans un avenir proche, se retrouver avec une capacité militaire susceptible de modifier l’équilibre aérien régional.
Ce qui alarme davantage Yehezkeli, c’est l’ambiguïté persistante du régime saoudien. « L’Arabie saoudite ne sait toujours pas où elle se situe », affirme-t-il. Aux yeux du monde, Ben Salman se présente comme un modernisateur — concerts à Djeddah, fin des restrictions sur la conduite pour les femmes, réformes internes — mais sur le terrain stratégique, son image est beaucoup moins flatteuse. Yehezkeli rappelle qu’il n’a pas réussi à vaincre les Houthis au Yémen, qu’il a cédé face à l’Iran, qu’il a renoncé à une normalisation ouverte avec Israël et, surtout, qu’il n’a aucune intention de soutenir l’établissement d’un État palestinien. L’analyste ajoute que beaucoup d’acteurs arabes considèrent les Palestiniens comme des « traîtres », une perception désormais assumée à voix haute par des responsables saoudiens.
Selon Yehezkeli, Ben Salman n’est pas un dirigeant doté d’un véritable « colonne vertébrale ». Il navigue en fonction des intérêts, jonglant entre les pressions internes, les attentes de la rue arabe, les ambitions régionales et les avantages stratégiques qu’il peut obtenir de Washington. D’où sa prudence affichée dans le dossier le plus sensible : la normalisation avec Israël. « Il joue avec cela et ne donnera rien rapidement », estime Yehezkeli, soulignant que le prince héritier sait parfaitement que sa capacité à négocier repose sur ce « joker » qu’il garde jalousement en main.
L’expert admet qu’un programme nucléaire civil, sous supervision américaine, pourrait représenter un risque, mais pas un risque immédiat. Quant au rapprochement saoudo-israélien, il affirme qu’Israël doit rester vigilant : mieux vaut, dit-il, que Riyad ne se rapproche pas si c’est pour adopter une posture ambiguë ou instable, ou si cela doit mettre en danger les intérêts israéliens. « L’Arabie saoudite ne nous met pas en danger, mais quand une nation te demande d’attaquer l’Iran, tu t’attends à un minimum de courtoisie », ironise-t-il, rappelant que dans la région, personne n’est réellement « gentil ». Tout est géré par les rapports de force et les intérêts directs.
À travers sa lecture lucide, Yehezkeli dessine un Moyen-Orient où chaque geste diplomatique, chaque contrat d’armement, chaque image prise dans le Bureau ovale participe d’un jeu stratégique infiniment plus large. Israël, déjà confronté à des fronts multiples, doit juger la situation sans naïveté, conscients que les alliances dans la région sont mouvantes, et que certains partenaires d’aujourd’hui pourraient devenir des facteurs d’instabilité demain. Dans un environnement où l’Iran continue d’avancer et où les axes d’influence se recomposent, l’État hébreu doit garder un œil attentif sur les transformations en Arabie saoudite, et surtout sur la question clé : que veut réellement Mohammed ben Salman pour sa région et pour son propre règne ?






