À l’occasion de la Journée internationale des droits des personnes handicapées, le rabbin Yuval Sherlow, président du comité d’éthique de l’organisation Tzohar, a lancé un cri d’alarme qui résonne bien au-delà du monde religieux. Dans un contexte où des centaines de soldats reviennent du front avec des blessures visibles et invisibles, le rabbin appelle les communautés à reconnaître une réalité douloureuse : de nombreux lieux de prière en Israël ne sont pas adaptés aux besoins des blessés, et surtout pas à ceux qui souffrent de traumatismes psychologiques depuis le 7 octobre. Pour lui, il ne s’agit pas d’un « supplément de confort », mais d’une obligation halakhique et morale.
Dans une intervention diffusée sur la chaîne Mishav, affiliée aux rabbins de Tzohar, le rabbin Sherlow décrit un décalage inquiétant entre les attentes spirituelles de la communauté et les obstacles physiques et sensoriels que rencontrent ceux qui cherchent simplement à rejoindre la prière. « Les soldats reviennent, et parmi eux, beaucoup de blessés du corps et de l’âme », explique-t-il. « Ce changement ne viendra pas d’eux. Il doit venir de nous. »
Il évoque les réalités techniques – des escaliers trop raides, des entrées étroites, l’absence de rampes ou d’ascenseurs, des salles mal éclairées – mais surtout les obstacles invisibles : le bruit. « Il y a un vacarme insupportable pour ceux qui souffrent de stress post-traumatique », dit-il. « Les gens qui ont survécu à des tirs, à des explosions, ou à des scènes traumatiques, ne peuvent tout simplement pas rester dans un environnement sonore non maîtrisé. » Ce constat rejoint les études publiées récemment par l’hôpital Sheba et l’université de Tel-Aviv, qui soulignent l’explosion du nombre de soldats atteints de PTSD depuis l’attaque du Hamas (source : Sheba Medical Center, rapport 2024).
L’enjeu dépasse la simple ergonomie : le rabbin Sherlow rappelle que l’accessibilité est inscrite au cœur même de la vision juive du monde. « La synagogue doit être accessible à tous. Ce n’est pas un bonus, ce n’est pas un luxe. C’est l’essence même de la maison de prière. Un lieu ouvert à tous doit permettre à chacun d’y entrer. » Il invoque la tradition prophétique : « Les prophètes nous ont appris à regarder vers le converti, l’orphelin et la veuve – des symboles de ceux dont la voix ne porte pas. » Dans le cas des blessés, insiste-t-il, « leur voix ne se fera pas entendre. C’est à nous de parler et d’agir. »
Cette prise de parole reflète un débat qui enfle dans tout le pays depuis le début de la guerre. Plusieurs organisations de blessés, dont « Etgarim » et « Brothers in Arms », affirment que de nombreux lieux publics et institutionnels ne sont toujours pas accessibles, malgré les obligations prévues par la loi pour l’égalité des droits des personnes handicapées (1998). Les synagogues, souvent construites avant ces réglementations, échappent parfois aux mises aux normes, faute de budget ou de décision communautaire. Or, selon Sherlow, ce manque d’adaptation porte atteinte à l’essence même de la prière publique.
Il souligne aussi le silence des blessés eux-mêmes : « Ils ne le diront pas. Ils pensent souvent qu’ils dérangent, qu’ils exagèrent, qu’ils doivent s’adapter. Mais c’est faux. C’est nous qui devons changer. » Le rabbin insiste sur une inversion morale nécessaire : « Quand nous demandons à D.ieu d’écouter notre prière, nous devons commencer par écouter ceux qui ont besoin de nous. »
L’appel de Sherlow arrive alors qu’Israël connaît un nombre inédit de soldats blessés psychologiquement depuis la guerre du 7 octobre. D’après un rapport publié en 2025 par le ministère de la Défense, plus de 19 000 soldats et civils ont été reconnus comme souffrant de traumatismes liés à l’attaque et à ses suites – un chiffre en augmentation constante (source : ministère israélien de la Défense, rapport annuel). Beaucoup d’entre eux témoignent que les espaces clos, les bruits soudains, les chants forts ou l’agitation rapide d’une synagogue peuvent déclencher une détresse immédiate.
Cela oblige les communautés à repenser leur fonctionnement : proposer des zones calmes, former les responsables des offices aux besoins sensoriels spécifiques, adapter la lumière, installer des rampes et des ascenseurs, repenser l’acoustique ou créer un espace d’accueil pour les soldats et blessés traumatisés. Certaines synagogues, notamment dans le centre du pays, ont déjà entamé des travaux d’adaptation, souvent financés par des dons privés ou des fondations. D’autres hésitent encore, perçues comme freinées par la tradition ou le budget.
Pour Sherlow, cet argument financier ne peut plus servir d’excuse : « Une synagogue qui n’est pas prête à accueillir les blessés n’est pas une synagogue de tous. » Il ajoute que parler d’accessibilité uniquement après des crises nationales serait une faute morale : « Ce n’est pas un projet ponctuel. C’est une révolution spirituelle. »
L’un des passages les plus puissants de son allocution réside dans sa conclusion : « Ce n’est que lorsque nous permettrons à chacun d’entrer dans la maison de prière que nous pourrons vraiment demander à D.ieu d’entrer dans nos vies. Une synagogue accessible est une synagogue fidèle à sa mission. »
Dans un pays où la prière joue un rôle central dans la résilience sociale après la guerre, l’appel du rabbin Sherlow apparaît comme une invitation à transformer la tradition non pas en réduction, mais en élargissement. Une exigence qui, selon lui, doit naître non pas d’une loi, mais d’une responsabilité spirituelle.






