Près de trente ans après son assassinat, la voix d’Itzhak Rabin résonne à nouveau. Les archives de Tsahal ont dévoilé ce dimanche une série d’enregistrements inédits du Premier ministre israélien, captés entre 1967 et 1977, qui offrent un regard brut et lucide sur la vision stratégique du chef d’État : son rapport à la force, à la solitude diplomatique d’Israël et à l’équilibre fragile entre puissance militaire et quête de paix.
Ces entretiens, longtemps conservés dans les coffres du ministère de la Défense, tracent une décennie charnière du destin israélien — de la victoire éclatante de la guerre des Six Jours à l’après-choc du Yom Kippour et jusqu’à la transition politique de 1977, lorsque Menah’em Begin succède à Shimon Peres. Dans ces enregistrements, Rabin s’exprime sans détour, avec une sobriété désarmante, loin des envolées politiques.
« Israël sans puissance militaire ne peut exister, au sens le plus concret du terme — ni politiquement ni physiquement », y affirme-t-il lors d’une réunion de l’état-major en juin 1977, quelques semaines après la défaite du Parti travailliste. « Personne n’a d’idéologie fondée sur la concession. La paix est un but, mais pas toujours un résultat. Le processus de négociation importe autant que son issue. »
Ce ton réfléchi contraste avec la rhétorique souvent belliqueuse de ses contemporains. Dans une autre bande, enregistrée peu après la guerre des Six Jours, Rabin évoque le sentiment d’isolement d’Israël malgré la victoire : « Depuis la fin de la guerre, notre solitude s’accroît. Peu de nations soutiennent encore nos aspirations sionistes. Mais si cette génération comprend la responsabilité qui lui incombe, nous pourrons résister aux pressions et atteindre nos objectifs. »
Ces documents audio, mis en ligne par les Archives de Tsahal, révèlent un dirigeant plus nuancé que l’image simplifiée qu’en ont gardée ses adversaires comme ses partisans. On y entend un militaire pragmatique, conscient de la fragilité d’un État entouré d’ennemis, mais aussi un homme hanté par le poids moral du pouvoir.
Dans un passage particulièrement frappant, Rabin confie sa dépendance au soutien américain : « Sans les armes et le financement des États-Unis, nous ne pourrions survivre. La moitié de notre arsenal vient d’Amérique. » Des mots qui, cinquante ans plus tard, résonnent toujours dans une Israël qui demeure profondément liée à Washington, notamment depuis l’élection du président Donald Trump, ardent défenseur de la coopération militaire bilatérale.
Les historiens saluent la publication de ces bandes comme une contribution majeure à la mémoire nationale. Le professeur Yoav Gelber, spécialiste de l’histoire militaire israélienne, souligne dans Haaretz : « Rabin incarne la dualité d’Israël : un pays qui cherche la paix tout en sachant qu’il doit rester fort pour exister. Ses propos rappellent que la paix n’est pas une faiblesse, mais un calcul de survie. »
Ces révélations surviennent à un moment symbolique, alors que le pays commémore le 30ᵉ anniversaire de l’assassinat de Rabin. Les manifestations de Tel-Aviv ont rassemblé des milliers de jeunes Israéliens venus écouter ses discours d’archive, projetés sur écrans géants. Pour beaucoup, la voix du général évoque un Israël plus uni, plus réfléchi, avant la fracture politique et religieuse qui divise aujourd’hui la société.
Mais ces enregistrements rappellent aussi l’extrême complexité de l’homme. Celui qui avait signé les Accords d’Oslo croyait en la force comme condition de la paix, non comme son opposé. « Le jour où nous cesserons d’être vigilants, nous cesserons d’être libres », disait-il en 1974, dans une phrase restée jusqu’ici inédite.
Dans une région où les alliances se font et se défont au rythme des guerres, la pensée de Rabin conserve une actualité brûlante. Son message d’équilibre entre défense et dialogue, souvent réduit à un slogan, retrouve à travers ces archives toute sa densité : celle d’un homme qui savait que la paix n’est jamais donnée — elle se construit dans la force, la lucidité et le doute.






