Une décision sensible, attendue depuis plusieurs mois, vient d’être rendue par une commission spéciale du ministère israélien de la Défense. Chargée d’examiner le statut des réservistes de Tsahal ayant mis fin à leurs jours, cette commission a décidé de ne pas les inclure automatiquement dans la catégorie officielle des « soldats tombés au combat ». Une position lourde de conséquences symboliques, juridiques et humaines, dans un contexte où la pression psychologique sur les réservistes israéliens n’a jamais été aussi forte.
La commission, présidée par Moti Almoz, a néanmoins établi un cadre intermédiaire, destiné à reconnaître partiellement le lien entre le service militaire et ces drames personnels. Selon les conclusions rendues publiques, chaque cas de suicide survenant chez un réserviste donnera lieu à la convocation immédiate d’une commission d’examen spécifique. Celle-ci devra déterminer avec précision les circonstances du service, la période d’engagement et l’exposition éventuelle à des événements traumatiques susceptibles d’avoir provoqué une blessure psychologique profonde.
Si un lien clair est établi entre le suicide et le vécu militaire du réserviste, la personne concernée sera alors reconnue comme étant « décédée des suites de son service ». Cette qualification, distincte de celle de « soldat tombé », permet une reconnaissance institutionnelle partielle, sans toutefois aller jusqu’à l’intégration complète dans le panthéon militaire israélien.
Concrètement, les réservistes reconnus comme « décédés des suites du service » ne seront pas enterrés dans les cimetières militaires. Les funérailles resteront de nature civile, mais comprendront plusieurs éléments militaires symboliques : la présence de soldats, une allocution du commandant de l’unité dans laquelle le réserviste servait, ainsi que le dépôt d’une gerbe officielle au nom de Tsahal. Leur nom sera également inscrit dans le mémorial officiel des disparus, au même titre que les anciens soldats handicapés de Tsahal décédés après leur service.
Cette décision illustre la ligne de crête sur laquelle tente d’avancer l’institution militaire israélienne. D’un côté, elle refuse d’assimiler juridiquement et symboliquement le suicide à une mort au combat. De l’autre, elle reconnaît que le service militaire – en particulier pour les réservistes mobilisés dans des contextes de forte intensité sécuritaire – peut laisser des séquelles psychiques profondes, parfois irréversibles.
La question de l’aide aux familles reste toutefois l’un des points les plus sensibles. Le ministère de la Défense indique que les proches des réservistes suicidés devront s’adresser au département de réhabilitation du ministère, où chaque dossier sera examiné individuellement. Le texte officiel évoque la promesse d’une « bienveillance maximale » à l’égard des familles endeuillées. Une formule prudente, dont la portée réelle suscite déjà interrogations et scepticisme parmi les associations de familles de soldats et les experts en santé mentale.
Les chiffres disponibles, bien que partiels, témoignent d’une évolution préoccupante. Pour les huit premiers mois de l’année 2025, seize militaires de Tsahal se sont suicidés, dont sept réservistes. En 2024, le bilan faisait état de vingt-et-un suicides au sein de l’armée, parmi lesquels douze réservistes. Ces données contrastent fortement avec les années précédant la guerre, où l’on recensait quatorze suicides en 2023 et onze en 2021. La tendance est claire : la charge psychologique pesant sur les soldats, et en particulier sur les réservistes, s’est intensifiée de manière significative.
Les spécialistes soulignent que les réservistes occupent une position particulièrement vulnérable. Contrairement aux soldats de carrière, ils alternent brutalement entre vie civile et immersion dans des situations opérationnelles extrêmes. Beaucoup retournent ensuite à un quotidien familial et professionnel sans accompagnement psychologique suffisant, alors même qu’ils ont été exposés à des scènes de violence, de pertes humaines ou à une responsabilité opérationnelle écrasante.
Dans la société israélienne, où le service militaire constitue un pilier identitaire et civique, la question du suicide des soldats demeure profondément taboue. La décision de la commission du ministère de la Défense reflète cette tension permanente entre la volonté de préserver le statut sacré des « morts au combat » et la nécessité de reconnaître les blessures invisibles laissées par la guerre.
Pour les familles concernées, la distinction entre « soldat tombé » et « décédé des suites du service » reste douloureuse. Elle conditionne non seulement la reconnaissance publique, mais aussi l’accès à certains droits, aides financières et formes de commémoration. À plus long terme, cette décision relance un débat de fond en Israël : celui de la prise en charge psychologique des réservistes et de la responsabilité morale de l’État envers ceux qu’il mobilise, parfois à répétition, dans des contextes de guerre prolongée.
Alors que les données complètes pour l’ensemble de l’année 2025 n’ont pas encore été publiées, une chose est déjà certaine : la question du traumatisme psychique dans l’armée israélienne n’est plus marginale. Elle s’impose désormais comme un enjeu central, humain et national, que ni Tsahal ni le ministère de la Défense ne pourront durablement contourner.






