L’historien de la Shoah László Bernát Veszprémy dresse un constat glaçant : la situation des Juifs d’Europe rappelle de plus en plus les années 1930. Montée des incidents, pogroms dans des capitales occidentales, discours de haine banalisés… ce qu’il imaginait survenir dans dix ou vingt ans est déjà là.
Une prophétie qui se réalise plus vite que prévu
« Jamais je n’aurais cru que la vague antisémite s’accélérerait avec une telle intensité », confie-t-il. Ses travaux, entamés dès 2015 sur l’antisémitisme en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, le conduisaient à prédire de nouveaux pogroms d’ici une ou deux décennies. Mais déjà, en 2024, des scènes de violences de masse ont éclaté dans des villes d’Europe occidentale, parfois sous les acclamations de foules galvanisées par des slogans en soutien au Hamas.
Pour l’historien, les Juifs européens sont pris en étau entre trois forces : l’extrême droite, l’extrême gauche et une partie de l’islam radical importé avec les vagues migratoires. Le plus inquiétant reste l’absence d’empathie de larges pans des sociétés occidentales. « Après un massacre comme celui du 7 octobre, je n’aurais jamais pensé que des manifestations de solidarité se tiendraient pour les meurtriers du Hamas », dit-il.
Des chiffres alarmants
Les statistiques confirment cette bascule. En Belgique, 144 incidents antisémites ont été recensés en 2023, un record depuis le début du suivi en 2001. Aux Pays-Bas, 421 incidents ont été comptabilisés la même année, en hausse de 11 % par rapport au précédent sommet. En Allemagne, la courbe explose : 8 627 incidents en 2024, contre 1 957 en 2020. La France, elle, a enregistré près de 1 600 actes en 2024, un niveau historiquement élevé. Au Royaume-Uni, plus de 3 500 agressions ou menaces ont été signalées, la deuxième pire année jamais enregistrée.
Un ministre israélien sonne l’alarme
Le ministre israélien des Affaires de la diaspora, Amichai Chikli, n’a pas mâché ses mots : « La Belgique a capitulé ! » Dans un message relayé sur les réseaux sociaux, il a exhorté les Juifs belges à quitter le pays, accusant Bruxelles de fermer les yeux sur la prolifération d’agents du Hezbollah et sur les menaces de mort proférées contre les dirigeants communautaires. Un avertissement qui rappelle les mises en garde du leader sioniste Ze’ev Jabotinsky en 1938 aux Juifs de Varsovie, les enjoignant à quitter l’Europe centrale avant la catastrophe. Peu l’écoutèrent alors.
Un parfum d’entre-deux-guerres
La comparaison avec les années 1930 s’impose. À l’époque, la majorité des Juifs européens ne croyaient pas à l’imminence du danger. Aujourd’hui, la tentation de minimiser existe encore. Mais les chiffres sont là, implacables. Même l’Europe de l’Est, encore relativement épargnée, voit l’antisémitisme progresser. « C’est à Amsterdam, et non à Budapest, qu’un pogrom a éclaté l’an dernier », rappelle Veszprémy.
Une différence majeure : Israël
Une donnée change toutefois la donne par rapport à l’entre-deux-guerres : l’existence d’un État juif. Israël, qui lutte pour sa survie contre le Hamas, le Hezbollah et l’Iran, constitue désormais une planche de salut pour la diaspora. Mais, comme le souligne l’historien, « le renseignement israélien ne peut pas être présent dans chaque synagogue d’Europe ».
Dans ce contexte, le message de Jabotinsky résonne encore : « Apprenez à tirer. » Un appel à l’autodéfense qui peut choquer, mais qui reflète une réalité : face à l’indifférence et à la banalisation de la haine, les Juifs d’Europe doivent songer à leur sécurité de façon urgente.
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