L’affaire a embrasé les réseaux sociaux en quelques heures : un rapport de Greenpeace révélant la présence de substances chimiques potentiellement dangereuses dans des vêtements de la marque Shein a provoqué une vague d’inquiétude mondiale, entraînant des appels au boycott et des milliers de messages alarmés. Dans ce climat de suspicion, où les réactions publiques devancent parfois la réalité scientifique, une voix majeure de la toxicologie israélienne a choisi de ramener la discussion à sa juste mesure. Le professeur Miguel Galeshtein, expert reconnu de l’hôpital Ichilov de Tel-Aviv, estime que le rapport, bien que sérieux dans sa méthodologie, ne justifie en rien l’hystérie collective observée ces derniers jours. « Il n’y a rien dans ce document qui nécessite une panique publique », tranche-t-il avec calme.
Le rapport de Greenpeace, publié le 25 novembre 2025, indiquait que sur 56 articles de Shein testés par le laboratoire allemand Bremer Umweltinstitut, 18 dépassaient les limites européennes REACH concernant certains composés, notamment les PFAS — souvent appelés “produits chimiques éternels” — les phtalates et plusieurs métaux lourds. Ce type de pollution industrielle n’est pas nouveau, surtout dans les chaînes d’approvisionnement de l’“ultra fast fashion”. Mais la publication, accompagnée d’une communication très virale, a créé une impression d’urgence sanitaire immédiate. Certains utilisateurs ont même affirmé que ces vêtements seraient susceptibles d’empoisonner les consommateurs au simple contact avec la peau.
Pourtant, lorsque l’on interroge directement les spécialistes, la conclusion est très différente. « Nous n’avons jamais entendu parler d’un cas où quelqu’un a été réellement empoisonné par un vêtement », rappelle le professeur Galeshtein. Selon lui, les analyses en laboratoire n’équivalent pas à une preuve réelle de toxicité chez l’humain. Il manque, insiste-t-il, les données fondamentales : des analyses biologiques — sang, urine — montrant une absorption effective des substances. « Sans exposition démontrée chez l’être humain, on reste dans la spéculation. »
Le professeur souligne un point essentiel : le risque principal concerne rarement les consommateurs finaux, mais plutôt les travailleurs des usines de production, exposés à des concentrations beaucoup plus élevées et sur des périodes prolongées. « Ce sont généralement les employés des usines qui souffrent de dommages dus aux solvants, aux colorants ou aux métaux lourds. Pas l’adolescent qui porte un t-shirt trois heures par jour. » Cette réalité, plusieurs études épidémiologiques la confirment depuis des années, notamment celles publiées par l’OMS et par l’European Chemicals Agency (ECHA).
Le docteur Roni Farber, spécialiste de santé publique, abonde dans le même sens. Selon lui, l’existence de produits chimiques dans des vêtements « ne signifie pas que quiconque développera un cancer ». Il recommande toutefois de bonnes pratiques de précaution, simples et efficaces : laver les vêtements neufs, privilégier les fibres naturelles, et se tourner vers des marques transparentes quant à l’usage de PFAS ou d’autres composés. Des conseils d’hygiène basiques, mais pertinents, qui diminuent encore davantage des risques déjà très faibles.
Greenpeace, de son côté, insiste sur la dimension structurelle du problème. L’organisation rappelle que Shein avait déjà été pointée du doigt en 2022 pour des dépassements similaires, et s’était alors engagée à améliorer son contrôle des substances chimiques. Le nouvel audit mené en 2025 montre que l’objectif n’a pas été atteint : un tiers des produits testés dépassaient encore les limites européennes. Greenpeace y voit le signe d’une chaîne d’approvisionnement incontrôlée, dominée par la pression des prix bas. L’organisation précise cependant que les effets ne sont pas immédiats : « L’exposition par les vêtements ne cause pas d’empoisonnement aigu, mais la présence chronique de composés cancérogènes ou endocriniens peut poser un problème à long terme, surtout pour les enfants. »
La nuance est donc fondamentale : nous ne sommes pas face à une menace sanitaire urgente, mais plutôt à une problématique industrielle de fond, liée à l’absence de régulation en Chine et au retard réglementaire d’Israël, qui n’a pas encore adopté pleinement les standards REACH. C’est précisément cet écart réglementaire qui, selon Greenpeace, crée un vide juridique où les consommateurs israéliens ne sont pas protégés autant que les Européens.
L’analyse des experts israéliens remet cependant les choses en perspective. La plupart des composés identifiés ne franchissent pas, en eux-mêmes, le seuil de toxicité susceptible de provoquer une maladie identifiable. Même dans les études internationales, il n’existe aucun lien direct prouvé entre le port de vêtements contaminés et un cancer ou une pathologie aiguë, contrairement à l’exposition professionnelle ou environnementale — eau polluée, solvants industriels, poussières toxiques — clairement documentée comme dangereuse. Comme le rappelle Galeshtein : « À part l’amiante, il est presque impossible d’attribuer un cancer à une seule exposition. L’environnement global, l’alimentation, la pollution de l’air jouent un rôle bien plus déterminant. »
Dans un contexte international où la régulation des produits importés devient un enjeu géopolitique — particulièrement en Europe où les débats autour de REACH sont constants — l’affaire Shein révèle un fossé entre la perception du public et l’évaluation scientifique. La panique rapide, alimentée par les réseaux sociaux, témoigne à la fois d’un accroissement de la méfiance vis-à-vis des produits chinois et d’une sensibilité grandissante aux questions environnementales. Mais l’hystérie ne remplace pas l’analyse, et le cas présent le montre de manière éclatante.
Rappelons enfin que le marché israélien, bien plus exposé que l’Europe aux importations non régulées, gagnerait à accélérer l’adoption de normes strictes. Une meilleure surveillance, associée à une information transparente, permettrait de rassurer les consommateurs tout en restituant le débat sur des bases factuelles plutôt que sur des peurs amplifiées.
Sources réelles :
– Greenpeace International, rapport 2025 sur Shein
– Bremer Umweltinstitut (Allemagne), analyses textiles 2025
– Mako Santé (Israël), entretien avec Pr. Galeshtein, 26 novembre 2025
– ECHA (European Chemicals Agency), réglementation REACH







