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Un véritable tremblement de terre secoue le secteur alimentaire israélien : la chaîne française Carrefour vient d’annoncer qu’elle vendra du fromage jaune à 1,90 shekel les 100 grammes, un prix largement inférieur à tout ce que le consommateur israélien a connu jusqu’ici. Cette baisse violente, de plus de 60 % par rapport aux leaders du marché, intervient dans un contexte de réforme historique de l’industrie laitière, menée par le ministère des Finances, et de tensions croissantes autour du coût de la vie.
Derrière cette annonce se cache une transformation profonde du marché : un modèle qui, depuis 70 ans, reposait sur des barrières à l’importation, des quotas rigides, une concentration extrême et des prix artificiellement élevés par rapport à l’Europe.
Une réforme structurelle qui bouleverse l’équilibre du marché
Depuis des décennies, Israël affiche des prix de produits laitiers supérieurs de dizaines de pourcents à ceux des pays de l’OCDE. Les raisons sont connues :
- système de quotas et de régulation ;
- prix de référence imposés ;
- domination des grandes laiteries ;
- faible concurrence importée.
Le ministère des Finances mène désormais une réforme agressive, qui prévoit :
- l’abolition des quotas de production ;
- la liberté totale pour les éleveurs de produire sans limite ;
- un nouveau prix minimum, 15 % plus bas que le prix actuel ;
- et surtout, une augmentation massive des importations.
La part des importations de fromages sans taxe est ainsi passée de 11.500 tonnes à 19.500 tonnes par an — une hausse de près de 50 %.
Ces volumes permettent l’entrée de produits européens bien moins chers, principalement d’Europe de l’Est, capables de casser les prix du marché israélien.
Des écarts de prix qui révèlent un marché fermé depuis trop longtemps
Aujourd’hui encore, les produits locaux affichent des tarifs sans rapport avec leurs équivalents européens :
- Emek (Tnouva) : ~5,20 NIS / 100 g
- Noam (Tara) : ~4,97 NIS / 100 g
- Gilboa (Tnouva) : ~4,90 NIS / 100 g
- Marques importées : ~3,10 NIS / 100 g
Mais les différences deviennent spectaculaires sur les emballages de 200 grammes :
- Emek : 9,48 NIS / 100 g → soit presque 200 % plus cher que le produit importé
- Noam : 9,95 NIS / 100 g
- Goush Halav : 8,40 NIS / 100 g
- Produit européen : ~3,40 NIS / 100 g
Ce fossé illustre la réalité du marché : un système verrouillé, opéré comme un « club fermé », où le consommateur paie régulièrement deux à trois fois le prix européen pour un produit de base.
Carrefour frappe un coup stratégique
Face à cette réforme, Carrefour a choisi la voie la plus directe : couper les prix de façon spectaculaire.
En proposant la tranche de fromage jaune à 1,90 shekel, la chaîne française envoie un message clair au marché : avec l’importation massive et l’ouverture du secteur, il est possible de vendre des produits essentiels à des prix européens — voire en dessous.
L’objectif est évident :
- mettre la pression sur les laiteries israéliennes,
- attirer le public,
- repositionner Carrefour comme l’enseigne qui brise réellement le coût de la vie.
Depuis son arrivée, Carrefour promettait de « changer les règles du jeu » : cette initiative marque la première confrontation directe avec les prix historiques des grands acteurs locaux.
Une situation explosive pour les producteurs locaux
Si les consommateurs accueillent cette baisse spectaculaire avec soulagement, les conséquences pour les producteurs pourraient être lourdes :
- Risque de fermeture de petites exploitations laitières, incapables de rivaliser avec les prix européens.
- Crainte d’un affaiblissement de la production locale.
- Tensions politiques croissantes entre le ministère des Finances et le ministère de l’Agriculture.
Les éleveurs, notamment en périphérie, dénoncent un danger pour la souveraineté alimentaire : si trop de fermes ferment, Israël pourrait devenir dépendant de l’importation extérieure pour son alimentation de base.
Le consommateur israélien, lui, vote déjà avec son chariot
La psychologie des prix joue un rôle majeur : lorsqu’un produit essentiel passe symboliquement sous les 2 shekels, le public réalise que le marché a été gonflé artificiellement depuis des années.
Les études du Retail Research Institute le démontrent : une baisse drastique sur un produit central provoque un effet domino dans tout le panier moyen. C’est exactement ce qu’espère Carrefour.
Et c’est ce que craint une partie de l’industrie laitière.
Vers une véritable révolution du marché ?
Trois scénarios sont envisageables :
1. Une baisse généralisée des prix
Si les concurrents doivent s’aligner, le fromage jaune — produit fétiche des familles israéliennes — pourrait devenir un symbole de la nouvelle ère.
2. Une guerre commerciale prolongée
Carrefour pourrait absorber temporairement des pertes pour capturer des parts de marché, provoquant une bataille agressive avec Tnouva, Tara et Goush Halav.
3. Un choc structurel pour les producteurs
Plusieurs centaines de petites exploitations pourraient disparaître dans les deux ans, réduisant la diversité locale mais renforçant la compétitivité générale.
Une chose est sûre : Israël entre dans une nouvelle phase
Le prix de 1,90 NIS n’est pas un « coup marketing ».
C’est un signal tectonique : celui d’un marché qui change d’époque.
La révolution du lait, longtemps bloquée par des intérêts politiques et sectoriels, arrive enfin au cœur des foyers.
Et comme souvent en Israël, tout commence par un produit du quotidien — une simple tranche de fromage jaune.






