Le séisme judiciaire se poursuit autour de l’ancienne procureure militaire en chef, Yifat Tomer-Yerushalmi, et de l’ex-procureur militaire principal, le colonel Matan Solomash. Le tribunal de Tel-Aviv a décidé, lundi 3 novembre, de prolonger leur garde à vue de trois jours. Motif : risque de subornation de témoins et dangerosité présumée. L’audience, exceptionnellement ouverte au public, a livré un tableau tendu d’une enquête qui plonge les instances judiciaires de Tsahal dans la tourmente.
La juge a résumé la décision en des termes clairs : « Il existe un soupçon raisonnable de tentative d’entrave à la justice, ainsi qu’un risque concret pour l’enquête. » Le parquet, représenté par la policière en charge du dossier, a confirmé que des téléphones et du matériel informatique avaient été saisis, et qu’au moins cinq suspects étaient actuellement entendus. “C’est une affaire complexe”, a-t-elle insisté, tout en reconnaissant que “les autorités n’ont aucun intérêt à maintenir la détention au-delà du strict nécessaire.”
Tomer-Yerushalmi, arrêtée la veille après plusieurs heures de disparition, est arrivée non menottée au tribunal, visiblement épuisée. Selon la police, elle avait quitté son domicile dimanche matin en laissant une lettre d’adieu, déclenchant une vaste opération de recherche sur la côte nord de Tel-Aviv. Son véhicule a été retrouvé vide près de la plage Ha-Tsuk, ses vêtements trempés. Certains médias avaient d’abord évoqué une tentative de suicide — une thèse aujourd’hui écartée par les enquêteurs, qui soupçonnent une mise en scène. “Tout semble avoir été planifié”, a confié une source proche du dossier. “Elle avait deux téléphones sur elle, l’un pour être localisée, l’autre destiné à être jeté à la mer.”
Au tribunal, l’avocat de la procureure, Me Dori Klagsbald, a dénoncé une “détention théâtrale” et “une violation du principe de proportionnalité”. “Il n’existe aucune raison de croire que ma cliente cherche à perturber l’enquête”, a-t-il plaidé. “Cinq suspects ont déjà été interrogés, leurs téléphones saisis, et toutes les communications WhatsApp pertinentes récupérées. Rien ne justifie un maintien en cellule.”
La policière, elle, a rejeté ces arguments : “Le risque de manipulation est réel. Nous n’avons pas encore terminé le scan complet des appareils saisis, et certaines actions d’enquête ne peuvent être menées que sous garde.” Un rapport secret a été présenté à la juge, renforçant la décision de prolonger la détention.
Quant au colonel Matan Solomash, l’ancien procureur militaire, il a également été entendu. Son avocat, Me Nati Shimhoni, a tenté de convaincre la cour qu’il n’était “en rien impliqué dans l’affaire de la fuite du dossier de Sdé Teyman” — la fameuse vidéo qui, selon l’accusation, aurait été autorisée par Tomer-Yerushalmi elle-même pour contrer une “campagne de désinformation”. “Il a quitté ses fonctions en août 2025, et la réponse au recours devant la Cour suprême a été soumise en septembre. Il n’était déjà plus dans le circuit”, a rappelé Me Shimhoni.
Mais la juge n’a pas suivi ces arguments. “Les soupçons sont sérieux”, a-t-elle tranché, évoquant des “actes d’entrave et de violation de la confiance publique.”
Le dossier, extrêmement sensible, mêle désormais les sphères judiciaires et politiques. Après l’éclatement de “l’affaire de la fuite”, l’ex-procureure — deuxième femme de l’histoire de Tsahal à atteindre le grade de général — avait été mise en cause pour avoir autorisé la diffusion d’un enregistrement interne du parquet militaire. Ce document, censé contrer une campagne médiatique hostile à l’armée, aurait au contraire provoqué un scandale international et contribué à son éviction.
Depuis, la trajectoire de Tomer-Yerushalmi a viré au drame personnel : effondrement médiatique, disparition inquiétante, puis arrestation spectaculaire. Dans les coulisses du pouvoir, certains y voient la conséquence directe des luttes internes qui minent l’appareil judiciaire militaire depuis la guerre de Gaza. D’autres, plus sévères, estiment qu’elle “a franchi les limites du devoir d’exemplarité”.
Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a ordonné que l’ancienne procureure soit placée sous surveillance renforcée à la prison de Neve Tirtsa, avec caméras 24 heures sur 24. Une mesure destinée, selon le ministre, à “prévenir tout incident grave” — mais perçue par les proches de la magistrate comme un signe d’acharnement.
Au-delà des aspects personnels, cette affaire soulève une question cruciale : jusqu’où le système militaire israélien peut-il se permettre de tolérer l’usage politique ou médiatique d’informations classifiées ? Pour les observateurs, la ligne rouge semble déjà franchie. “Nous assistons à une implosion morale du parquet militaire”, estime un ancien officier du service juridique. “Quand les gardiens de la loi deviennent les protagonistes du scandale, c’est toute la crédibilité de la justice qui vacille.”
Entre accusations de manipulation, fuites orchestrées et règlements de comptes internes, l’affaire Tomer-Yerushalmi symbolise la perte de repères d’un appareil d’État en crise. À mesure que les audiences se succèdent, une certitude s’impose : la vérité, elle aussi, reste sous garde à vue.
			








