Du faubourg détruit de Sajaiya jusqu’aux tours encore debout du centre de Gaza, le contraste est saisissant. Tsahal mobilise ses réservistes, le chef d’état-major parle d’“écrasement du Hamas”, et le cabinet promet de continuer sans relâche. Mais derrière l’offensive militaire se joue une équation plus complexe : comment concilier le temps long de la conquête avec la fenêtre étroite de légitimité internationale ?
Au pied de la crête qui domine Sajaiya, les ruines s’étendent à perte de vue : un amoncellement de béton brisé, de gravats et de débris. Plus loin, à Zaytoun, quelques bâtiments tiennent encore debout, mais la plupart ne sont plus habitables. Puis se dessine le centre de Gaza, encore largement debout et peuplé. Enfin, l’horizon s’ouvre sur la Méditerranée. Ce panorama concentre toute la complexité de la guerre actuelle : Israël détruit les bastions terroristes, mais le cœur de la ville reste à conquérir.
Un vieux dilemme : l’écrasement ou l’attente
Après l’opération « Bordure protectrice » (צוק איתן) en 2014, l’ancien ministre de la Défense Moshe Yaalon justifiait l’absence de victoire décisive par la difficulté de pénétrer dans les gratte-ciels de Gaza : « Un bataillon pouvait entrer dans un immeuble, et disparaître sans qu’on s’en aperçoive », disait-il. Dix ans plus tard, le constat reste valable : Gaza regorge de tours et de réseaux souterrains, rendant toute conquête totale interminable et meurtrière.
Aujourd’hui, les réservistes ont été rappelés, le chef d’état-major promet l’écrasement, et le cabinet affirme ne pas vouloir de pause. Mais un paradoxe demeure : d’un côté, l’administration américaine – via l’émissaire Ron Dermer – prévient qu’après 60 jours, même Trump aura du mal à justifier la poursuite de l’opération. De l’autre, le nettoyage complet de Gaza-ville et des camps centraux pourrait prendre des mois, comme l’ont montré Rafah ou Khan Younès.
Une équation insoluble ?
Cette contradiction apparente nourrit un débat en Israël : faut-il choisir entre un accord temporaire et une conquête totale ? L’analyste conclut que la réalité pourrait être autre : une troisième voie. Non pas une reddition immédiate du Hamas ni un statu quo prolongé, mais une combinaison – pression militaire continue et règlement diplomatique en préparation.
Selon un document de Tsahal publié cette semaine, l’armée entend cette fois s’adapter au calendrier international. Contrairement au passé, où Jérusalem menait ses campagnes sans tenir compte des pressions, l’opération actuelle doit intégrer la fenêtre diplomatique ouverte par Washington et par les capitales arabes modérées.
L’ombre de Washington et des capitales arabes
Dans les coulisses, une « solution politique » est en gestation. L’administration américaine, par la voix de Trump et de ses conseillers, pousse pour une combinaison entre victoire militaire israélienne et relance régionale. L’idée est simple : Israël nettoie Gaza, puis une architecture diplomatique s’appuie sur les pays sunnites modérés pour stabiliser le territoire.
Le parallèle avec l’industrie technologique américaine est ironique : « Comme les iPhones, produits en Chine mais étiquetés ‘Made in USA’ », résume un commentateur. De la même façon, les plans américains – du “Deal du siècle” aux scénarios de réinstallation de Gaza – ont souvent été conçus à Jérusalem avant d’être « rebrandés » à Washington.
Cette fois encore, les grandes lignes ont été posées par Israël. Ron Dermer, conseiller influent de Netanyahou, multiplie les allers-retours entre Jérusalem, Abou Dhabi et Washington. Objectif : convaincre les alliés arabes modérés que l’effondrement du Hamas, couplé à un filet diplomatique régional, peut mettre fin à la guerre.
Le poids du temps
Reste une donnée implacable : le temps. Nettoyer Gaza, au-dessus et au-dessous du sol, prendra des mois. Mais l’opinion internationale n’accorde que quelques semaines avant d’exiger un cessez-le-feu. Le risque est donc de voir la pression extérieure saboter une opération militaire qui n’en est qu’à mi-parcours.
Israël joue ici une partie à trois niveaux :
- Militaire, en détruisant systématiquement les infrastructures du Hamas.
- Politique, en préparant un « jour d’après » crédible pour ne pas laisser un vide.
- Diplomatique, en s’assurant que Washington et les alliés arabes offrent une couverture internationale.
Leçons du passé et regard vers l’avenir
L’histoire récente d’Israël démontre qu’aucune victoire militaire n’est durable sans solution politique. L’évacuation de Gaza en 2005, qui devait ouvrir une ère de paix, a abouti à l’installation du Hamas. La guerre actuelle vise à inverser cette logique : d’abord une victoire militaire claire, puis une consolidation diplomatique régionale.
Comme le rappelle RakBeIsrael.buzz, « il ne s’agit plus de gérer le Hamas, mais de l’éradiquer, puis de construire une alternative avec ceux qui ont intérêt à la stabilité – les Arabes modérés. »
Conclusion : une guerre différente
L’offensive en cours ne ressemble pas aux précédentes. Elle combine patience militaire et calcul diplomatique. Elle s’appuie sur une armée prête à combattre dans les ruines de Sajaiya comme dans les tours de Gaza, mais aussi sur une diplomatie israélo-américaine qui prépare le terrain du lendemain.
Israël sait que la victoire ne sera pas seulement mesurée en kilomètres conquis, mais en architecture régionale construite. Et c’est peut-être là sa force : frapper aujourd’hui, négocier demain, et s’assurer qu’aucun 7 octobre ne puisse jamais se reproduire.
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